Bonjour à tous !
Voici comme promis ces derniers jours un extrait exclusif du tome 2 de Thomas Drimm, « La guerre des arbres commence le 13″, qui m’a été directement envoyé par Didier Van Cauwelaert !
On y découvre le début du roman, à travers une scène se déroulant dans l’école de Thomas. La nouvelle menace qui plane sur le monde y est dévoilée par son professeur d’instruction civique : la Grippe V, V pour végétale.
Mais laissons tout de suite la place à l’auteur :
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-A présent, nous dit le prof d’instruction civique, vous ne risquez plus rien.
J’ajuste l’élastique au-dessus de mes oreilles, et je me retourne. La salle de cours ressemble à une école de hold-up, où nous serions en stage intensif d’apprentis braqueurs. M. Katz ôte le masque du visage de Jennifer, lui fait constater qu’il est à l’envers, le lui met dans le bon sens et enchaîne :
-Surtout, n’oubliez pas de changer tous les matins le filtre antipollen entre les deux couches de biopolyamide, sinon la protection est inefficace. Et de toute manière, vous ne devez pas dépasser le seuil d’exposition d’une heure par jour à l’extérieur. Les activités sportives et les récréations dans la cour sont suspendues jusqu’à nouvel ordre. C’est clair ?
Tout le monde dit oui, mais ça ne s’entend pas à cause du masque. L’avantage, c’est qu’on aura moins besoin de réviser : les contrôles surprises à l’oral, c’est fini.
-Bien entendu, tout cela est une simple alerte, ajoute M. Katz d’un ton aussi faux que son regard en biais. Le danger n’est pour l’instant qu’une hypothèse, connue sous le nom de grippe V. Le virus de la grippe végétale peut très bien ne pas muter, mais nous devons tous nous protéger au nom du Principe de précaution. Qui peut nous rappeler ce qu’est le Principe de précaution ?
Jennifer lève le doigt, soulève un coin de son masque et répond :
-Quand on a peur de se faire tirer dessus, on tire le premier.
La classe rigole. Ça fait pffrrtt à travers le tissu. M. Katz pousse un soupir de retraite anticipée, s’abstient de tout commentaire et nous distribue des kits de vaccination. Ça se présente sous la forme d’un stick marqué Antipoll. Mode d’emploi : on le débouche et on se l’applique à l’intérieur du bras. Il y a une aiguille à tête chercheuse qui repère la veine, pique et désinfecte.
-Vous vous vaccinerez tout à l’heure, à l’interclasse.
Il ajoute d’un ton rassurant qu’ainsi nous pourrons respirer du pollen par inadvertance, si jamais on nous vole notre masque.
-Et vous, monsieur, reprend Jennifer, pourquoi vous n’en portez pas ? Y a un problème avec les masques ? Un effet secondaire ?
Le prof coule un regard hostile vers ma seule copine de classe. Depuis qu’elle a perdu dix kilos en deux jours, grâce à mon action sur ses cellules graisseuses, Jennifer n’est plus la même. Elle est devenue acide et cassante, comme pour faire payer aux autres l’image de boudin qu’ils lui renvoyaient depuis toujours. Ou alors c’est sa nature profonde, qu’elle a découverte en même temps que sa beauté cachée par les kilos. Quand on est moche, on fait semblant d’être gentil pour être aimé tout de même. C’est ce qu’elle m’a dit ce matin, lorsque je lui ai reproché son agressivité. Elle a ajouté : « T’as qu’à les agresser toi aussi. »
Elle pense que je fonctionne comme elle. La semaine dernière, j’étais encore un préobèse qui s’excusait d’exister, c’est vrai. Mais là, je continue à tout faire pour qu’on m’oublie. Pendant qu’elle, s’affichant en minijupe et top moulant, allume les garçons pour mieux les doucher ensuite, je flotte d’un air absent dans mes fringues trop grandes. Il faut dire que j’ai un terrible secret à protéger, sous peine de mort. Jennifer, elle, n’a que du temps perdu à rattraper.
-Vous êtes déjà vacciné, monsieur ? insiste-t-elle.
-Je suis traité directement par ma puce, réplique le prof. La fréquence des molécules de l’Antipoll est envoyée par micro-ondes pulsées aux cerveaux des plus de treize ans. Comme 70% de la population, j’ai été radiovacciné pendant la nuit.
-Et qu’est-ce qui vous le prouve ? sourit Jennifer, suave. A la fin de l’année vous prenez votre retraite : ça fera faire des économies au gouvernement s’il vous laisse crever de la grippe V.
Un murmure de ricanements chuinte sous les masques. M. Katz se contente de répliquer que le ministère de la Santé ne fait aucune différence entre les citoyens face à la maladie. Le genre d’énormités qu’on a tout intérêt à déclarer quand on a plus de treize ans, vu que la puce cérébrale permet d’être espionné par le gouvernement vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Espionné dans l’intérêt général, naturellement. Ça sera notre cas dans trois mois, à Jennifer et moi. Sauf si la fin du monde arrive d’ici là.
-Et pourquoi d’un coup on serait devenus allergiques aux arbres ? réattaque Jennifer.
Le prof d’instruction civique détourne son regard et abaisse les stores. Avec des gestes lents de vieillard avant l’âge, il fait descendre l’écran plat par-dessus le tableau où il a inscrit le problème du jour : Comment l’homme doit-il réagir si la nature se révolte contre lui ?
-Vous allez écouter ce que vous devez savoir, laisse-t-il tomber, neutre, et nous reprendrons ensuite le cours du programme. Il n’y a pas lieu de dramatiser la situation, ni de la prendre à la légère.
Et sa télécommande lance le clip officiel que j’ai déjà vu trois fois à la maison.
Ministère des Espaces verts
Ordre de mobilisation citoyenne.
Le drapeau des Etats-Uniques apparaît en flottant au ralenti sous l’intro de l’hymne national, et on se lève. C’est obligatoire, sinon c’est trois heures de colle. L’Etats-Uniquaise s’interrompt à la troisième mesure, remplacée par une musique d’angoisse. Les basses du synthé pulsent avec insistance sur les images d’une belle forêt paisible, qui soudain se colore en rouge et se met à clignoter. En haut de l’écran à droite scintillent dans un rectangle les mots « Exercice d’alerte ».
Fondu enchaîné sur le visage lugubre du ministre des Espaces verts, un chauve au crâne en pointe qui est devenu en vingt-quatre heures le personnage le plus en vue du gouvernement. Tout le monde attend de lui la solution de la crise, alors que la semaine dernière il était encore ministre du Hasard. Il n’a peut-être pas eu le temps d’étudier le dossier, en revanche il prononce son discours avec beaucoup de naturel, comme s’il n’était pas du tout en train de le lire sur un prompteur.
-Citoyennes et citoyens des Etats-Uniques, l’heure est grave, mais le gouvernement contrôle la situation. Tous les moyens sont mis en œuvre pour que la menace soit jugulée. Pour une cause encore inconnue, certains végétaux sont susceptibles de transmettre par leurs pollens des virus hautement toxiques. Le port systématique du masque de protection respiratoire, combiné à l’autovaccination immédiate et gratuite par Antipoll, obligatoire de zéro à treize ans, vous met à l’abri des dangers de contamination.
Sous sa cravate à rayures défilent les sous-titres de la version destinée aux collèges :
Gaffe aux arbres, mon frère !
Respirer sans masque, c’est le plan pourri de la mort qui tue !
Si tu kiffes ton pays et ta santé, antipolle-toi !
La grippe V ça craint : moi j’assure en vaccin !
-Néanmoins, poursuit le ministre, tout arbre suspect dégageant un pollen allergène doit être dénoncé sur-le-champ auprès des services compétents, en appelant le numéro vert qui s’inscrit sur l’écran.
Les chiffres se mettent à scintiller en même temps que le sous-titre :
Contre la grippe V, tu dois cafter !
-Tout acte de non-délation face à une menace écologique sera puni d’un emprisonnement de quatre à six mois, conformément à la loi sur la Solidarité nationale, achève le ministre en pointant l’index. Santé, prospérité, bien-être !
-Santé, prospérité, bien-être ! répète notre prof, au garde-à-vous sur l’hymne national qui conclut le clip.
La lumière se rallume. Je regarde les visages autour de moi. Personne n’a écouté. Certains ont enlevé le masque de leur nez et l’ont placé sur leurs yeux, pour pouvoir mieux dormir. Les autres se sont mis de la musique dans l’oreille. Ils sont tellement habitués aux messages d’alerte dont le gouvernement nous matraque à longueur d’année, pour nous abrutir par la trouille, que ça ne leur fait plus ni chaud ni froid. Danger représenté par les obèses, les dépressifs, les non-pratiquants du tri sélectif, les alcooliques, les tabagiques, les malchanceux… Trop de peurs tue la peur. Je suis le seul à savoir que, cette fois, le risque est réel, et que d’ici quelques jours, en dépit des masques et des vaccins, les arbres auront sans doute exterminé l’espèce humaine.
Je le sais d’autant mieux que c’est à cause de moi.
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Voilà, c’est tout pour aujourd’hui ! J’espère que ça vous a plu. De mon côté, j’attends la suite avec impatience !
N’hésitez pas à donner vos impressions sur cet extrait en postant un commentaire sur cet article.
Bonne journée, et à la prochaine !
-Thomas.